07/08/2012

Petit cimetière en France / Small cemetary in France

Both french and english versions in this post.

Film évoqué dans ce message: 
La double vie de Véronique (Podwójne życie Weroniki)
de Krzysztof Kieslowski (Prix d'interprétation pour Irène Jacob Cannes 1991)

Entre la séquence du train où Weronika regarde le paysage défiler à l'envers au travers de la balle, et la séquence à Cracovie, chez sa tante qui lui tire les cartes, il y a une séquence qui n'est pas montée dans le film, et qui se déroule dans un cimetière en France. La voici telle qu'elle apparaît dans le scénario:


11- PETIT CIMETIERE EN FRANCE. EXT. JOUR.
La musique continue. Nous voyons distinctement  une feuille verte à contre-jour. Un cimetière en terrasses: VERONIQUE arrange des fleurs dans un vase sur une des tombes.
Ce n'est qu'au bout d'un instant que nous nous rendons compte que c'est une tombe ancienne. On y distingue des inscriptions françaises. VERONIQUE incline sa tête un moment, observe les fleurs. Elle sourit légèrement, contente de l'effet. La musique cesse.
VERONIQUE se lève et s'en va.


J'ai pris un Polaroïd d'Irène Jacob à l'intérieur du cimetière en terrasses après le tournage de cette séquence.
Je trouve qu'il raconte, à lui tout seul, une histoire. Il est aussi une trace d'une séquence qui n'est pas dans le film, mais que j'ai la chance de conserver dans mes archives. Au delà de la photo, j'ai surtout le sentiment d'être la dépositaire privilégiée de ce moment, inconnu des amoureux de ce film.
Le cinéma est fait de cela aussi. De séquences qui ont été tournées avec le même soin, la même attention que des scènes présentes dans le montage final, mais qui n'existent pas, qui ne sont connues de personne.

Avec son élégance coutumière, Irène pose devant mon appareil.
Elle a une façon toute particulière de se tenir, un pied devant l'autre, dans un équilibre qui semble fragile. Cette manière inattendue de me présenter cette feuille d'arbre est étrange. Il semble qu'elle le fasse sans y penser, le regard un peu vague. Est-elle sur le point de me dire quelque chose? A-t-elle le désir de me confier qu'elle n'était pas seule pour jouer, qu'il y avait cette feuille si importante? En me la montrant, ne souligne-t-elle pas l'importance qu'elle lui donne tout simplement?
Je crois vraiment qu'Irène est toute imprégnée de la scène qu'elle vient de jouer, de l'idée même de cette "feuille verte à contre-jour". Je pense que cette pose est tout simplement l'écho, le reflet de son jeu.
Ce moment absolument splendide, absolument gracieux, est dans ma mémoire.
Aujourd'hui, je peux en témoigner. Je considère que j'ai beaucoup de chance de pouvoir le faire, plus de vingt ans après, sur un film comme celui-ci. 


***



Small cemetery in France.
Between the sequence of the train, where the landscape scrolls backwards through the ball, and the sequence in Krakow, where Weronika's aunt pulls her cards on the bed, there is a sequence that is not in the final cut, and that takes place in a cemetery in France. Here it is as it appears in the script:

        11 - SMALL CEMETERY IN FRANCE. EXT. DAY. 
The music goes on. We can clearly see a green leaf against the light. A terraced cemetery: VERONIQUE arranges flowers in a vase on a grave. It is only after a moment that we realize that this is an ancient tomb. We can read French inscriptions. VERONIQUE bows her head for a moment. She smiles slightly, glad of the effect. The music stops. VERONIQUE gets up and goes.

I took a Polaroid of Irène Jacob inside the terraced cemetery after the filming of this sequence. 
I think he says, by itself, a story. It is also the memory of a special moment that is not in the movie, but I have the chance to keep in my archives. Beyond the picture, I feel especially privileged to be the custodian of this moment unknown by the lovers of this film. 
The film is made of this too. Sequences that were shot with the same care, the same attention as the scenes in the final cut, but that do not exist.

With her customary elegance, Irene poses in front of my camera lens. 

She has a special way to keep one foot before the other, in a balance that seems fragile. She unexpectedly introduces me this strange tree leaf. She seems to do it without thinking, with a vague look on her highly expressive face. Is she about to tell me something? Does she have the desire to approach me with this leaf so important to her? By showing it to me, doesn't she emphasize the fact she was not alone when she was acting, simply?
I really believe that Irene is steeped in the scene she has been running, the very idea of this "green leaf against the light." I think this pose is an echo of her interpretation. 
This moment absolutely gorgeous and graceful is in my memory. 
Today, I can testify. I consider myself very lucky to be able to do so, more than twenty years later, on a film like this.