07/10/2013

Mes histoires d'ascenseur

Mon goût pour les livres de Jean-Paul Dubois commence avec "Vous plaisantez, monsieur Tanner", chronique des travaux que l'écrivain fait réaliser dans sa maison.
Son dernier roman "Le cas Sneijder" relate l'histoire d'un homme ayant survécu à un accident d'ascenseur, et qui remet toute son existence en question.
Je ne suis pas sortie indemne de cette lecture, puisque du jour au lendemain, je me suis mise à emprunter systématiquement l'escalier, quitte à devoir gravir dix étages. J'ai réalisé peu à peu que le sujet de ce livre m'avait suggérée la possibilité que je puisse moi même avoir un jour, un accident d'ascenseur. 

Photo Gary Winogrand, New York City, 1968

En guise de premiers secours, je me suis promis de ne pas visionner de films susceptibles d'alimenter mon inquiétude sur le sujet. J'ai barré dans la filmographie de Brian de Palma des titres tels que The Untouchables, Body double ou Pulsions (Dressed to kill)... les scènes dans les ascenseurs y étant très anxiogènes. J'ai aussi enfoui autant que possible dans ma mémoire le souvenir d'"Ascenseur pour l'échafaud" de Louis Malle, pour les raisons que vous imaginez.

A cette époque, je préparais une interview du cinéaste Jérôme Bonnell pour les bonus du DVD "Le temps de l'aventure" sorti au mois d'août 2013 en France. Je visionnais tous les documents capables d'enrichir mon projet, parmi lesquels une interview de Gabriel Byrne dont quelques morceaux choisis étaient destinés à figurer eux aussi au chapitre bonus de ce même DVD.
M'étant procurée auprès de Jérôme l'interview de l'acteur dans son intégralité, je fais ci-dessous référence à un passage qui n'a pas été retenu pour les bonus, mais à la lumière de ce que je viens de vous confier, vous comprendrez ce qui m'a attirée dans les propos de l'acteur.
Voici la question:
"Avez-vous ressenti des différences culturelles entre ce tournage français (Le temps de l'aventure) et un tournage anglo-saxon. Y avait-il des spécificités ou au contraire est-ce universel?"
Gabriel Byrne répond:
"Je dirais que faire un film, c'est comme monter dans un ascenseur. Que l'ascenseur soit à Paris, à New-York ou au Groenland, il y aura cinq ou six autres personnes dans cet ascenseur. On fait l'expérience d'un voyage avec elles vers l'étage qu'on a choisi d'atteindre. Quand on ressort on a vécu cette expérience dans l'ascenseur. Un tournage, ça dépend de l'alchimie entre les gens. Mon père disait souvent: "Où qu'on aille dans le monde, les gens sont les mêmes". Un plateau de tournage, c'est toujours unique. Que ce soit à Dublin, Londres, New-York, Paris, ou Los Angeles, il y a une équipe, un réalisateur, des acteurs, une histoire. Un tournage a sa propre identité, on devient vite accro. C'est un monde tourné vers lui-même, et qui vous protège. Alors quand ça se termine, c'est comme ressortir de l'ascenseur, ou descendre d'avion. On a fait un voyage, et les chances de retrouver ces liens avec tous ces gens, de la même manière sont très faibles. L'expérience est très intime et elle n'est liée qu'au travail qu'on effectue. Une fois qu'on s'en va, on a plus rien en commun à part cette expérience. Quand vous revoyez quelqu'un de l'équipe trois ans plus tard, passée la surprise, il est difficile d'aller au delà des souvenirs".

Je faisais partie de l'équipe de tournage du temps de l'aventure. J'avais pris sans le savoir l'ascenseur pendant sept semaines, et tout s'était merveilleusement passé.
Aucune malice ne m'anime en faisant ce commentaire, parce que l'image qu'a utilisée le comédien était celle dont j'avais besoin, et c'est probablement dans sa réponse que j'ai trouvé une première piste d'apaisement.

A la même période, j'ai revu "Fenêtre sur cour" de Hitchcock. J'ai regardé les bonus du DVD, il y avait une interview dont je voulais voir la forme.
Le réalisateur américain Peter Bogdanovich s'exprime à plusieurs reprises dans le document. Il évoque notamment une histoire qui lui est arrivé avec le cinéaste en 1964.
Bogdanovich raconte:
"... Hitchcock et moi nous sommes dirigés vers l'ascenseur pour descendre. On entre dans l'ascenseur. Pas un bruit du 24ème au 18ème étage. Au 18èmé étage, des gens montent, habillés pour dîner. Hitch se tourne vers moi et me dit: "C'était horrible, vous savez. Il baignait dans une marre de sang. Du sang coulait de son oreille, de son nez." 
Bogdanovich précise qu'il ne comprend rien à ce que raconte Hitchcock, et il poursuit son récit: Les portes s'ouvrent au 15ème, des gens montent. Hitchcock continue: "C'était vraiment horrible. Il y avait du sang sur les murs". 
Au moment où Hitchcock dit ça, les portes de l'ascenseur s'ouvrent sur le hall. Le cinéaste était célèbre, et les gens ont tous hésité à sortir de l'ascenseur parce qu'ils voulaient connaître la fin de l'histoire. Hitchcock n'a pas dit un mot, il est simplement passé devant les gens qui se sont précipités à sa suite dans le hall pour l'écouter.
Bogdanovich n'y comprenant toujours rien souffle à Hitchcock: "Qu'est-ce qui s'est passé?" 
Et Hitchcock de répondre: "Quoi?... Rien. C'est mon histoire d'ascenseur." 
On prête à Hitchcock beaucoup de blagues qu'il n'a jamais faites, mais cette histoire est authentique.

North by northwest (La mort aux trousses) de Alfred Hitchcock, Cary Grant (Roger Thornhill)

Aussi, je me doute bien par quelle association d'idées j'ai repensé à deux moments précis de mon histoire personnelle ...
... En 1992, dans un hôtel en Malaisie, je me trouvais par hasard dans le même ascenseur que Chiara Mastroianni alors âgée de vingt ans. Venue rendre visite à sa mère en tournage sur "Indochine", elle était sortie, et j'avais juste eu le temps d'apercevoir Catherine Deneuve le sourire aux lèvres se diriger bras tendus vers sa fille. Les portes s'étaient refermées sur cette image.
... En 1982, Michelangelo Antonioni travaillait sur les finitions d"Identification d'une femme". A l'époque, j'étais stagiaire dans un laboratoire qui développait les films tournés sur support argentique, et dans l'ascenseur j'avais monté quelques étages en compagnie du cinéaste. Il avait dû voir le rouge à mes joues - j'étais probablement magenta étant donné le contexte et mon émotion de voir un homme que j'admirais - et peut-être avait-il souri pour cette raison. J'avais longtemps gardé, punaisé sur le mur de ma chambre de bonne, l'affiche 120x160 de ce très beau film .





Une anecdote sur Hitchcock ne fait jamais de mal tant le cinéaste est brillant. Un voyage de quelques semaines dans un ascenseur imaginaire avec Gabriel Byrne, je témoigne que c'est formidable. Et puis, il y a des flashes étranges, au hasard de la vie, comme quelques secondes de la vie privée de Catherine Deneuve, ou un sourire de Michelangelo Antonioni...

Rien que des trucs super grâce à d'un ascenseur.

Alors, j'ai pris les seules décisions qui s'imposaient.
Lire le prochain Jean-Paul Dubois, et continuer d'emprunter les ascenseurs. 

PS: J'ai réalisé l'interview de Jérôme. Elle est dans les bonus du DVD du Temps de l'aventure. Elle est aussi visible sur Vimeo.





Je ne résiste pas au désir d'ajouter cette image de "La vie des autres" de Florian Henckel von Donnersmarck .
C'est un film qui compte beaucoup pour moi.
 
Paul Maximilian Schüller (L'enfant au ballon) et Ulrich Mühe (Hauptmann Gerd Wiesler) "La vie des autres" de Florian Henckel von Donnersmarck

Photo Renaud Wailliez
"La peau douce" de François Truffaut. Françoise Dorléac



Dialogue de "What's New Pussycat" Scénario original de Woody Allen, 1965