08/02/2012

Regards caméra

Extrait d'une interview du cinéaste américain James Gray (Little Odessa, The yards, We own the night, Two lovers) réalisée par le journaliste Jordan Mintzer:

"...La scène durant laquelle James Stewart laisse Kim Novak seule dans son appartement et qu'elle regarde vers la caméra. C'est le plus grand moment de l'histoire du cinéma. Je n'ai pas dit que Vertigo (Sueurs froides) était le plus grand film de tous les temps. Je dis que cette scène est le plus grand moment de l'histoire du cinéma. J'en suis certain. Si vous en trouvez un meilleur, je suis tout ouïe..."



Les propos de James Gray m'intéressent parce que je sais que le comédien qui joue a appris à ne pas regarder la caméra en train de le filmer. Si sur un plateau de tournage, j'ai vu un acteur déstabilisé à la minute même où le metteur en scène lui demandait de jouer une scène en regardant la caméra, j'ai vu aussi une comédienne sachant parfaitement ce que le metteur en scène désirait, et qui a maintenu son regard exactement le temps qu'il fallait.
Les regards dans l'objectif demeurent rares, c'est ce qui les rend remarquables
Puisque James Gray a parlé du regard caméra de Kim Novak dans Vertigo d'Alfred Hitchcock, je cherche un autre exemple. L'image qui s'impose au moment où j'écris, ne vient pas d'un film sur lequel j'ai travaillé, mais d'un souvenir de cinéphile. C'est la très belle image de Nathalie Baye regardant longuement l'objectif dans la dernière séquence du film de Xavier Beauvois "Le petit lieutenant".

Ces regards sont émouvants, ils me touchent, me font éprouver de la compassion, me prennent aux tripes.
Quand je prends un acteur en photo, je souhaite toujours être la plus discrète possible.
À cet égard, il m'est plus facile d'être discrète avec un appareil numérique, qu'avec un Polaroïd bruyant. Je dois bien admettre que les techniques modernes m'ont fait gagner en discrétion.
Dans ma visée, il y a une chose que je sens et vois immédiatement: la concentration ou la disponibilité du comédien que je photographie.
Sur la plupart de mes clichés, je sais que le comédien ne me voit pas. J'aime cette idée.
Le regard du comédien dans mon objectif est, en proportion, moins fréquent.
L'acteur sait que je suis là, ou est en train de le réaliser.
Soudain, il sent ma présence, il me voit.
Le regard est là, et bien qu'il soit posé sur moi, je peux deviner que l'acteur sort tout juste de sa réflexion, de sa concentration, qu'il y est encore, souhaite y rester...
Il arrive qu'il prenne la pose, inconsciemment ou volontairement...
Qu'il ne fasse rien, me regarde, sourit vaguement ou franchement...
Nous ne nous parlons pas. Je fais la photo. C'est tout.
Ces regards me touchent...
Quelques-uns d'entre eux... 
Grazyna Dylong, "La note bleue" de Andrzej Zulawski

Redjep Mitrovitsa, "La note bleue" de Andrzej Zulawski

Yolande Moreau, "Séraphine"de Martin Provost

Vincent Lacoste, "Les beaux gosses" de Riad Sattouf

Malik Zidi, "La dame de trèfle" de Jérôme Bonnell