12/08/2014

Mi-aoû(t)


Il y a des jours où j'aimerais être chat.
Parce que je suis séduite par la classe et l'énergie de cet animal. 
Parce que je ne me couperai plus en ouvrant une boîte pour le nourrir.
J'ai une femelle siamoise dotée d'une forte personnalité. Passionnante en tous points, j'aime l'observer. Elle a cette manière particulière, lorsqu'elle joue à attraper sa queue, de feindre l'indifférence au beau milieu de l'action pour la mettre en confiance.
Elle est là où on ne l'attend pas, rusée comme un sioux.
Qu'il s'agisse de vérifier que le chat du voisin ne marche pas sur ses plates bandes, qu'elle décide d'attraper une mouche, ou qu'elle soit capable de jouer pendant des heures avec un simple bouchon au bout d'une ficelle, une fois qu'elle a avalé l'insecte, égratigné, labouré, lacéré toute chose, elle semble en tirer une très grand plaisir.
La voici d'ailleurs qui arrive sur mon bureau en roulant des mécaniques. 
Je me renseigne:
- "La mouche, c'est réglé??"
Les paupières sont mi-closes, le ronron satisfait.
- "Un délice".
Oui, toutes les deux, on discute pas mal. 
En l'espace d'une seconde, la guerrière ténébreuse s'est transformée en séductrice qui me fixe de ses grands yeux bleus:
- "Oh toi que je regarde intensément, sais-tu que tu es la seule personne qui compte pour moi?".
Rien d'autre que moi qui compte pour elle. Rien d'autre que moi. Rien d'autre. Rien.
- "Le sais-tu? Au fait, la boîte de Kinou au saumon, tu as eu le temps de l'ouvrir avant de te couper?"
C'est la question qu'elle vient de me poser, assise face à moi sur les touches de mon ordinateur. 
Je me sens impuissante face à l'opportunisme sans scrupule de mon animal favori. Rien à faire pour la déloger, elle exige toute mon attention. 
Et si elle veut me dire, ce que ses yeux veulent me dire, je sens bien qu'elle me prie de ne pas attendre la fin de la nuit pour la nourrir. 
Alors, battue d'avance, je m'exécute.

"Filles perdues, cheveux gras" de Claude Duty. Marina Foïs (Natacha)
Avez-vous remarqué qu'une femme-mère de famille-intermittente du spectacle, qui travaille également ailleurs que derrière son ordinateur, est tenue de répondre régulièrement à un grand nombre de questions abominablement matérielles, posées par un entourage très demandeur?
Le seul avantage, c'est que là, elle peut mettre une certaine malice dans ses réponses.

Questions des enfants qui exigent absolument tout de leurs géniteurs.
- "Tu peux me réveiller à 7 heures?"
- "Je te signale que je tourne de nuit. Je fais des 21 heures-5 heures toute la semaine, je m'endors donc vers 6 heures"

- "J'ai plus de chaussettes! Tu tournes aujourd'hui?"
- "Quel rapport entre le fait que tu n'aies plus de chaussettes à te mettre, et le fait que je travaille?"

- "J'arrive pas à mettre la main sur le chèque que tu m'as donné hier pour acheter mes bouquins..."
- "Je sais juste qu'il était en blanc, et signé"
 
- "Tu ferais pas du riz à l'espagnole? C'est trop bon..."
- "Il faut des castagnettes." 

- "Non mais, t'as vu le vide abyssal du réfrigérateur? 
- "Débranche, débranche, coupe la lumière et coupe le son, débranche, débranche tout"

- "Et si tu faisais une potée?"
- "J'ai jamais eu de pot."

- "Tu as le truc que je t'ai demandé d'acheter?"
- "Laisse béton, la chose était avec le machin du zinzin, un vrai bazar dans le trucmuche!"
Questions des amis aussi, qui ont une vague idée de mon travail:
- "Comment arrives-tu à cumuler vie familiale et vie professionnelle?
- "C'est un don." 

- "Ton chronomètre, il marche à quoi?"
- "A l'émotion, au trouble, au frisson..."

- "L'ambiance a l'air bien pourri sur ton tournage?"
- "C'est de l'art"
Et il y a quinze secondes:
- "J'adore ton blog, tu parles de quoi ce mois-ci?"
- "Pour le savoir, réfère-toi à la première phrase du message, ou à la toute dernière".





Le mois dernier, dans une rue de Roubaix sur le tournage du film de Jérôme Bonnell, une petite chatte rousse vagabondeuse et affamée s'est retrouvée par hasard au beau milieu de notre équipe de tournage. Après avoir englouti plusieurs tranches de jambon, elle a choisi de rester avec nous jusqu'au bout de la nuit. 
Au milieu des rails de travelling, des cables électriques, des caisses métalliques, du ballet perpétuel de chaussures aussi grosses qu'elle qui menaçaient de l'écraser à chaque seconde, elle a su trouver sa place, sans cesser d'observer avec curiosité ce qui se passait autour d'elle. 
Tout l'intriguait mais semblait lui plaire aussi.
Un temps, elle s'est tenue à mes pieds, ayant remarqué que je bougeais assez peu, me lançant de temps en temps un bref coup d'oeil pour vérifier que j'étais toujours là.
J'ai fait quelques photos vers quatre heures du matin.
Où est-elle au moment où j'écris?
La petite chatte rousse, digne et libre.




N'y a t-il que des chats roux à Roubaix?
Steve Mac Keen, Photo William Claxton 1963
 
Françoise Sagan et son chat, photo Burt Glinn 1958


Oui, vraiment.
Il y a des jours où j'aimerais être chat.

Dessin et animation François Matton