Film évoqué dans ce message:
La double vie de Véronique (Podwójne życie Weroniki)
de Krzysztof Kieslowski (Prix d'interprétation pour Irène Jacob Cannes 1991)
de Krzysztof Kieslowski (Prix d'interprétation pour Irène Jacob Cannes 1991)
Dans le film "La double vie de Véronique" la séquence 5 du scénario est tournée dans "Le petit atelier d'opticien". Cette scène est dans le montage final du film. Avant de reporter le texte ci-dessous, je présente un montage Polaroïd du décor avec Irène Jacob (Weronika) et Jerzy Gudejko (Antek) pour que vous ayez une idée précise du décor.
Le petit atelier d'opticien de "La double vie de Véronique". Ici Irène Jacob (Weronika) et Jerzy Gudejko (Antek) |
5 - ARRIÈRE BOUTIQUE DU PETIT ATELIER D'OPTICIEN. INT. JOUR.Le bras de WERONIKA rejeté en arrière au-dessus de la tête. ANTEK approche ses mains et saisit celles de WERONIKA dans les siennes. Elle essaie de se libérer en riant, ANTEK ne lâche pas prise.ANTEK: Je l'ai. Montre-moi.WERONIKA fait non de la tête. Ses cheveux sont toujours mouillés. Ils sont nus tous les deux mais il ne s'agit pas d'une scène d'anatomie, on peut les couvrir d'un drap. ANTEK ouvre lentement sa main et s'approche pour mieux voir celle de WERONIKA.
ANTEK: Tu me l'as promis.
WERONIKA se détend, elle acquiesce un peu embarrassée. ANTEK examine sa main et son doigt qui est raide, sur le dessus de la main il y a une petite cicatrice. ANTEK lui plie ce doigt rigide.WERONIKA: Ça me gêne.
ANTEK pose ses lèvres sur le doigt et puis sur la cicatrice.
ANTEK: C'est ce que tu as de plus beau.
WERONIKA retire brusquement sa main.
ANTEK: Comment c'est arrivé?
WERONIKA: Le père d'une copine me l'a écrasé dans la portière de sa voiture. C'était après le bac, j'ai juste pu passer mon examen de piano et le jour même... je me suis évanouie.
ANTEK retrouve la main de WERONIKA et l'embrasse avec douceur.
Si la séquence 5 est montée dans son intégralité, la
séquence 6 n'apparaît pas dans le montage final du film.
Voici le texte, puis le Polaroïd 2 de la séquence 6:
L'attitude d'Irène Jacob (Weronika) devant cette table (Polaroïd ②) fait penser à l'attitude qu'elle a lorsqu'elle interprète Véronique (Polaroïd ③) devant la fenêtre chez son père. J'ai déjà mis en ligne ce polaroïd dans le message De dos. Je le présente ici à nouveau (Polaroïd③):
Lorsqu'elle est dans la maison de son père en France devant la fenêtre (Polaroïd ③, séquence montée dans le film, tournée en second dans le plan de travail) Irène Jacob (Véronique) cherche certainement à retrouver l'attitude qu'elle avait en interprétant Weronika devant la table de l'atelier d'opticien en Pologne (Polaroïd ②, séquence non montée dans le film, tournée en premier dans le plan de travail)
Dans cette séquence qui n'est pas montée (Polaroïd ②), Irène (Weronika) tient une enveloppe dans la main gauche, et observe le timbre français avec une paire de lunettes, qu'elle tient dans la main droite. Dans le scénario, Antek a réparé cette paire de lunettes qui appartient au père de Weronika.
Ces lunettes, le spectateur les voit une seule fois dans le montage final: sur le nez du père de Weronika en train de dessiner. Je reviendrai sur cette séquence dans un prochain message.
Voici le texte, puis le Polaroïd 2 de la séquence 6:
6 - PETIT ATELIER D'OPTICIEN - INT. JOUR.
L'effigie d'une femme au bonnet phrygien sur un timbre de 2,30 Francs se rapproche et s"éloigne, vue par un verre de grosses lunettes. WERONIKA, les cheveux déjà secs, veste sport par-dessus les épaules, joue avec une paire de lunettes démodées. Elle est tout à fait calme, apaisée, satisfaite. ANTEK s'approche d'elle par derrière. WERONIKA se blottit contre lui.
WERONIKA: A toi?
ANTEK: A un copain. Il ne veut pas vivre là-bas, il ne veut pas vivre ici...
Ils sont dans un petit atelier d'opticien. Des outils sur la petite table, des modèles différents de lunettes dans les vitrines. Une pile de " Gazeta Wyborcza" sur le comptoir. Il semble qu'Antek doive arrondir ses mois en vendant des journaux. WERONIKA soulève les lunettes avec lesquelles elle regardait le timbre agrandi.
WERONIKA: C'est fait?
ANTEK: J'ai dû ajuster la branche, ils en font plus des comme ça. Mon Dieu...
WERONIKA le regarde étonnée.
ANTEK: J'ai complètement oublié. Ton père te cherchait.
WERONIKA: Pourquoi?
ANTEK: Ta tante a appelé... de Cracovie, je crois. Elle s'est sentie mal, elle veut que tu viennes.
WERONIKA se lève, prend le combiné. Il n'y a pas de tonalité.
ANTEK: Marche pas, depuis hier. L'humidité.
WERONIKA: Qu'est-ce que Papa a dit? Qu'est-ce qu'y est arrivé?
ANTEK: Le coeur , je crois.
WERONIKA se précipite vers la porte. Avant qu'elle ne l'ouvre, ANTEK l'appelle.
ANTEK: Weronika! Change toi.
L'attitude d'Irène Jacob (Weronika) devant cette table (Polaroïd ②) fait penser à l'attitude qu'elle a lorsqu'elle interprète Véronique (Polaroïd ③) devant la fenêtre chez son père. J'ai déjà mis en ligne ce polaroïd dans le message De dos. Je le présente ici à nouveau (Polaroïd③):
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Lorsqu'elle est dans la maison de son père en France devant la fenêtre (Polaroïd ③, séquence montée dans le film, tournée en second dans le plan de travail) Irène Jacob (Véronique) cherche certainement à retrouver l'attitude qu'elle avait en interprétant Weronika devant la table de l'atelier d'opticien en Pologne (Polaroïd ②, séquence non montée dans le film, tournée en premier dans le plan de travail)
Dans cette séquence qui n'est pas montée (Polaroïd ②), Irène (Weronika) tient une enveloppe dans la main gauche, et observe le timbre français avec une paire de lunettes, qu'elle tient dans la main droite. Dans le scénario, Antek a réparé cette paire de lunettes qui appartient au père de Weronika.
Ces lunettes, le spectateur les voit une seule fois dans le montage final: sur le nez du père de Weronika en train de dessiner. Je reviendrai sur cette séquence dans un prochain message.
C'est sur ce décor de l'atelier d'opticien que je photographie Kieslowski (Polaroïd ④). Entre la porte du fond et le rideau de velours brun (voir le montage Polaroïd au début du message). Voici le Polaroïd en question qui porte le numéro ④:
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C'est la fin de la première semaine de
tournage en Pologne. A l'époque, hors Paris, l'équipe tournait le samedi. Plus maintenant. Il restait le dimanche pour se reposer, dormir le plus possible et reprendre ses esprits.
Comme souvent, l'équipe relâche sa tension à la veille du week-end.
Comme souvent, l'équipe relâche sa tension à la veille du week-end.
Ce soir-là, nous ne dérogeons pas à la règle.
Kieslowski
met un chapeau Haut-de-forme qu'il trouve sur le décor. Son opérateur Slawomir Idziak se prête au jeu, et met le premier couvre chef qui lui tombe sous la main. Je trouve le Polaroïd de Kieslowski particulièrement beau (Polaroïd ④) alors que le Polaroïd sur Idziak (Polaroïd ⑤) présente peu d'intérêt, si ce n'est qu'on aperçoit en haut à gauche la photo noir et blanc de Weronika sur laquelle Kieslowski fait un plan qui est dans le montage final: le subjectif de Weronika allongée. La séquence se terminera sur les deux Weronika se souriant. L'idée du double est effleurée.
J'ai une raison particulière de faire ce Polaroïd sur Kieslowski. Une raison que je suis la seule à connaître, et que j'ai déjà évoquée dans mon message Des hauts-de-forme. Deux mois plus tôt sur le tournage de "La note bleue", je photographie Zulawski, un autre metteur en scène polonais avec un chapeau identique sur la tête.
J'ai une raison particulière de faire ce Polaroïd sur Kieslowski. Une raison que je suis la seule à connaître, et que j'ai déjà évoquée dans mon message Des hauts-de-forme. Deux mois plus tôt sur le tournage de "La note bleue", je photographie Zulawski, un autre metteur en scène polonais avec un chapeau identique sur la tête.
Pour cette raison, et dans le contexte du film de Kieslowski, où la question du double est centrale, vous comprendrez mon désir de prendre ce second Polaroïd.
Kieslowski ne réagit pas spécialement en voyant la photo développée, et il ne saura jamais pourquoi je l'ai faite. Peut-être le lui
aurais-je dit si j'avais parlé sa langue.
J'ai une nature très pragmatique, et je n'ai pas un tempérament à m'illusionner, mais si je lui avais dit la raison...
... J'aime imaginer que Kieslowski aurait évoqué d'une manière énigmatique et dans un français parfait, les thèmes que nous allions continuer de développer plusieurs semaines encore sur le tournage de "la double vie de Véronique".
... J'aime imaginer que Kieslowski aurait évoqué d'une manière énigmatique et dans un français parfait, les thèmes que nous allions continuer de développer plusieurs semaines encore sur le tournage de "la double vie de Véronique".
Peut-être m'aurait-il dit, entre deux bouffées de cigarette:
"Le chapeau haut-de-forme est l'objet qui peut relier deux polonais... un lien, un signe possible de la double vie d'un metteur en scène..."
Et il aurait sans doute ajouté:
"Y a t-il un mystère qui relie des êtres sans qu'ils le sachent?... parfois sans doute, mais peut-être pas toujours... et d'ailleurs où est la vérité?..."
Il aurait relevé les sourcils en me fixant un bref instant, avec l'expression interrogative coutumière et paradoxale chez lui, de quelqu'un qui n'attend pas de réponse...
Ce samedi là, Kieslowski a sollicité son traducteur pour me remercier de cette première semaine, et me souhaiter un bon dimanche. Il a ajouté que je devais me reposer en prévision des semaines à venir.