- Qu'est-ce qui te ferait plaisir pour tes deux ans?
- Un Polaroïd. Pour le déplier, et... "bosser le lundi, le mardi, le mercredi, le jeudi, le vendredi, de l'aube à l'aube", et les vacances pas d'abstinence.
Oui, pour les deux ans de ma petite entreprise, je demande un appareil photo à développement instantané.
Objet obsolète?
Je vous ferais remarquer que vous êtes sur le blog d'une scripte de cinéma. C'est écrit en haut à gauche de cette page. Et pour une scripte, un Polaroïd, c'est quelque chose.
Mais vous allez comprendre.
Je m'intéresse aujourd'hui à Alma Reville, scripte, scénariste et monteuse britannique.
Elle avait 27 ans lorsqu'elle épouse en 1926 le maître du suspense.
Elle était la moitié d'Alfred Hitchcock, même si ce dernier semblait peser trois fois plus qu'elle au moment de leur mariage.
Mariage d'Alfred et Alma |
Alma Reville est créditée six fois en tant que scripte au générique des films de son mari. Sur "The 39 steps" (1935),"Secret agent" et "Sabotage"(1936), "Young and innocent" (1937), "The lady vanishes" (1938), "Jamaica Inn" (1939).
Sur cette photo elle est à droite, sur le tournage des "Trente-neuf marches" mis en scène en 1935 par son metteur en scène de mari. La collaboration artistique qui allait durer toute une vie commence en 1925 avec "The pleasure garden" où elle est l'assistante d'Hithcock. Elle le sera aussi sur "The mountain eagle" de 1926 et "The Lodger" de 1927 .
Sur cette photo Alma a l'air extrêmement sérieux mais ne vous y trompez pas. Si vous la voyez là, concentrée, un scénario à la main, je pense qu'elle était une femme pleine de fantaisie.
Ne croyez vous pas qu'il faut avoir beaucoup d'humour, ou en tout cas un naturel très gai pour vivre avec un homme qui n'a de cesse de vouloir vous faire peur?
Alma Reville. La tête d'Hitchcok est celle utilisée sur le mannequin dans la bande annonce de "Frenzy"(1972) Photo Philippe Halsmann |
Décor de Psycho (1960). Photo de Jean-Loup Sieff pour Harper's Magazine. Alfred Hitchcock and model Ina Balke |
Quelque chose me dit que le couple qu'elle formait avec Hitchcock avait un sens de l'humour absolument savoureux, en témoigne ce message envoyé à François Truffaut.
Le couple avait du trouver au fil des années une manière harmonieuse de collaborer, même si un seul occupait le devant de la scène. Pour moi, il ne fait aucun doute que tous deux étaient des artistes.
Alma Reville n'a jamais travaillé avec un appareil Polaroïd sur un plateau de cinéma. Dans les années 70, je pense qu'elle aurait aimé en trouver un sous le sapin pour s'en servir dans sa vie privée. Mais les photos que je scrute ou les textes que je lis en quête d'une preuve qu'Alfred ait pensé l'y déposer, ne donnent rien.
Mais on peut rêver. Et dans mes rêves, j'offre un Polaroïd à Alma.
Dés 1922 d'ailleurs, mais l'objet n'existe pas encore, et je ne suis pas née. Les rêves sont si étranges parfois.
Nous aurions pu avoir elle et moi, une conversation quelque part dans les années 70.
- Alma, je sais que vous n'avez pas eu la chance d'utiliser un Polaroïd lorsque vous étiez scripte. Aussi, j'ai pensé qu'un SX-70 et quelques pellicules vous feraient plaisir. Vous n'imaginez pas tout ce que Polaroïd peut faire pour vous! Une fois la photo prise, inutile de la secouer. Cela ne sert à rien. À la rigueur, frottez la partie blanche entre le pouce et l'index pour accélérer le processus de développement...
Elle aurait trouvé cet appareil magique, et la photo obtenue en quelques secondes aurait provoqué chez elle une réaction, un rire, peut-être même un fou rire. Elle m'aurait confié avoir toujours aimé prendre des photos d'Alfred. Grâce à mon cadeau, elle pourrait enfin faire des Polaroïds de lui. Comme Andy Warhol.
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Et puis, Alma aurait parlé de la collaboration de toute une vie, puisqu'elle avait été la scénariste de quelques films d'Alfred.
M'aurait-elle confié son influence officieuse sur toutes les créations de son mari?
Je ne sais pas, mais elle m'aurait montrée des photos. Encore et encore. Pendant des heures.
Du moins, je l'espère, puisque en plus d'avoir de l'humour, elle et moi aurions fait preuve de beaucoup d'imagination.
Enfin... surtout moi qui vous raconte tout ça.
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Notes et commentaires:
En 1979, lorsque l'American Film Institute couronne l'oeuvre d'une vie, Alfred Hitchcock rend hommage à son épouse, son alter ego.
Voici un extrait de son discours:
"(...) Laissez moi citer le nom de quatre personnes qui m'ont offert le plus d'affection, d'appréciation et d'encouragement ainsi qu'une collaboration constante. La première de ces quatre personnes est monteuse de films, la seconde est scénariste, la troisième est la mère de ma fille Pat, et la quatrième est aussi un cordon bleu qui accomplit des merveilles dans la cuisine familiale, et leurs noms est Alma Reville (...)
Je partage mon prix, tout comme j'ai partagé ma vie avec elle"
"I beg permission to mention by name only four people who have given me the most affection, appreciation, and encouragement, and constant collaboration. The first of the four is a film editor, the second is a scriptwriter, the third is the mother of my daughter Pat, and the fourth is as fine a cook as ever performed miracles in a domestic kitchen. And their names are Alma Reville." - Alfred Hitchcock in accepting the AFI Life Achievement Award in 1979
Les polaroïds d'Alma auraient pu ressembler à ça non?...
L'inventeur de l'appareil photographique instantané, le Polaroïd, est Edwin H.Land. Il pose ici pour Life Magazine avec son invention, le 27 Octobre 1972.
Le design de l'appareil Polaroïd doit beaucoup au couple de designers Charles et Ray Eames qui s'est aussi intéressé à la photographie. Vous connaissez certainement leurs fauteuils.
Voici un extrait du document qu'ils ont réalisé et qui explique, en anglais mais de manière très claire, le fonctionnement de l'appareil SX 70. Il y a aussi cette bande annonce du documentaire The architect and the painter.
La photo de Ray Eames est tiré de ce documentaire.
Ray Eames |
Alfred et Alma Hitchcock. Photo Philippe Halsmann 1974 |
Photo Philippe Halsmann 1974 |